Que se passe-t-il donc sur la planète tourisme et voyage ? Après une succession de records de fréquentation et de prises de réservation pour les mois à venir, chacun s’attendait à une pause, voire une simple normalisation de l’activité, qui seraient justifiées par la hausse du prix des prestations, une forme d’anxiété dans un contexte social perturbé, conduisant à un arbitrage entre des dépenses jugées plus ou moins prioritaires.
En fait, rien de tout cela, tout va bien globalement chez les hôteliers, les hébergeurs et les prestataires de toute la chaîne touristique. Après une année 2022 déjà jugée exceptionnelle, le 1er trimestre 2023 marque un nouveau sursaut et les perspectives pour les prochains trimestres sont très encourageantes. Même si on constate çà et là des degrés dans les appréciations, le sentiment général est à la satisfaction.
Le rattrapage des frustrations passées ne peut plus être la seule explication. Il s’est passé plus d’un an depuis la fin des restrictions. Les plus optimistes insisteront sur le fait que les voyages, et plus généralement les vacances, sont des moments essentiels à l’équilibre de vie de nos concitoyens. Par voie de conséquence la demande est et restera forte ; le besoin d’échappatoire restera tenace même si les prix poursuivent leur ascension.
Les plus sceptiques ne peuvent pas s’empêcher de constater une fragmentation de la société de consommation. Les beaux voyages, les destinations de prestige, les prestations haut de gamme ne connaissent pas la crise. Certes, il y a moins de clients dans les agences de voyages, mais ils réalisent de beaux dossiers.
Par ailleurs, les formules de vacances « populaires » n’ont jamais si bien marché : fréquentation record des campings avec une nouvelle clientèle, succès des promotions chez les grands distributeurs de voyages, hausse massive des échanges de maisons et des locations saisonnières… Les classes moyennes, si difficile à cerner, se dirigent-elles lentement vers des vacances plus économiques ?
Toutes choses égales par ailleurs, on peut retrouver l’atmosphère qui a suivi la Grande Guerre, la fameuse « Der des der » qui ne faisait qu’anticiper la suivante. C’est l’époque des Années Folles libérant les pulsions et les énergies festives. A Paris comme à Berlin, il fallait vivre, s’amuser, dépenser parce que demain était très incertain. Du moins, ceux qui en avaient les moyens, alors que pendant ce temps-là, les classes plus populaires luttaient pour faire face à l’ordinaire.
Aux Etats-Unis, la morale a cru pouvoir contrôler les excès en lançant la prohibition de l’alcool qui a ouvert les portes aux plus grands trafics, aux bars clandestins, à ces speakeasys qui ressurgissent aujourd’hui, ici et là, dans toutes les grandes villes. Coïncidence ?
Cette folle parenthèse d’une dizaine d’années s’est fracassée brutalement sur la Grande dépression, sur la montée des extrêmes et la paupérisation de la population. L’Histoire n’est jamais qu’un éternel recommencement mais on peut espérer que le monde apprend de ses excès.
Alors que peut-on craindre à court terme ? Que le tourisme, l’hospitalité et les voyages soient remis en cause ? Certainement pas ! Tout porte à croire que la consommation touristique sous toutes ses formes se portera bien encore pendant un moment.
Le luxe et le haut de gamme restent des moteurs puissants et une étude sommaire montre un parallèle révélateur entre la vente de sacs à main de grande marque et celle des nuitées de palaces et 5 étoiles. Coïncidence encore, me direz-vous !
Le ciel semble la seule limite de la croissance, mais l’hospitalité pour les riches ne peut pas être la finalité de notre industrie quand la majorité des nuitées répondent à une demande plus large, du budget au midscale.
Force est de constater qu’on se dirige pour l’instant vers un secteur à deux vitesses illustration d’une société elle-aussi à deux vitesses. Quels murs doit-on redouter : le dérèglement climatique qui ne connaît pas de frontière ou de classe sociale ? L’intelligence artificielle qui va remettre en cause beaucoup de certitudes professionnelles et qui risque d’engendrer une forme de déflation ? Le populisme des opposants politiques, impatients de prendre les rênes du pouvoir comme dans les années 30 ?
Pour l’instant, il est opportun de surfer sur la vague puisqu’elle est porteuse. Mais tout comme le surfer est attentif au rouleau qui pourrait l’engloutir, aux coraux qui pourraient le déchiqueter, il faut être en alerte sur les signes avant-coureurs et les premières inflexions de tendances.
Au moment où ChatGPT prétend pouvoir tout synthétiser et anticiper, à nous de vous faire la démonstration qu’il n’est qu’un nouvel outil, intelligent certes, mais seulement un outil que nous mettrons au profit de nos analyses pour décrypter un avenir compliqué.
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